COMPTES-RENDUS : “LA PLACE DE L’AUTOMOBILE DANS L’ARCHITECTURE DOMESTIQUE

Publié le par Gérard Monnier

Publié dansla revue Vieilles Maisons Françaises, 2007



G. Monnier : La place de l’automobile dans l’architecture domestique


L’ « invention » de  l’architecture moderne est contemporaine du succès de l’automobile : à partir de 1900, clients et architectes ont sous les yeux ses progrès rapides et incessants. Coïncidence chronologique : pour toute la génération des architectes pionniers de la modernité en Europe, leur naissance dans les années 1880 est contemporaine du tout début des véhicules à moteur thermique ; à leur maturité, l’automobile, d’abord réservée à une élite fortunée, est devenue accessible à une clientèle aisée et attentive à l’actualité, celle qui justement demande un nouveau cadre de vie.  Les architectes formulent en peu d’années des réponses successives, pour faire à l’automobile sa place dans l’espace construit, et pour associer à l’esthétique de leurs projets ce symbole des valeurs de vitesse et de mobilité, une marque de distinction, qui prend la suite des équipages, des voitures attelées et de tout ce qui faisait le luxe hippomobile. 

Si la circulation de l’automobile s’impose sur les routes et dans les rues des villes, son stationnement à l’abri, à proximité de la résidence, devient un problème d’architecture à résoudre, soit sous la forme de grands garages collectifs, soit sous la forme d’un espace privé ; c’est de ce dernier programme dont il s’agit ici. Pour l’aristocratie et les couches les plus riches, la première solution est de répartir la ou les autos, avec les chauffeurs, dans les communs, dans un dispositif qui prend le relais des écuries et des remises. Ainsi, dans les annexes de la villa de Noailles, construite à Hyères par Robert Mallet-Stevens, tout un équipage de grosses berlines se loge dans des bâtiments construits en style provençal dès 1924 par Léon David, selon Paul Smith .  Pour le « château-bélvédère » du couturier Paul Poiret à Mézy-sur-Seine, en 1924, Mallet-Stevens dispose le garage dans une annexe, un pavillon d’entrée qui comprend le logement du gardien.  A Paris même, il arrive que ce dispositif d’un bâtiment annexe soit adopté :  la duchesse de la Trémoille fait ainsi édifier par l’architecte Henri Pacon, en 1925, rue Berton, à proximité de son hôtel particulier, un élégant immeuble de rapport où le rez-de-chaussée est affecté au garage de ses propres automobiles, avec fosse de visite, cour arrière pour le lavage, et, dans les étages, logement pour les chauffeurs.  

Dans des programmes plus restreints, une seconde solution organise l’intégration du garage de l’automobile dans les volumes mêmes de la résidence. Dès 1906, dans la villa « Costebelle », à Barcelonnette (Alpes de Haute Provence), le rez-de-chaussée du corps de bâtiment fait une place à une automobile, bien abritée des rigueurs du climat d’altitude. Cette disposition, qui se généralise dans les villas des années 1920, souligne un rapport étroit de l’architecture domestique avec une « auto », instrument attrayant, qui évoque la liberté, l’autonomie, et toutes les promesses d’un machinisme désirable. Dans la villa « La pacifique », construite en 1929 par Pierre Barbe à Sanary (Var) pour un metteur en scène de cinéma, André Michel, une aile abrite le garage pour deux voitures ; l’interprétation photographique est remarquable : dès la fin du chantier, l’image montre l’une d’elles (un cabriolet  Ford ?), à demi sortie de son abri, comme un organe, complexe et vivant, qui tranche avec la sobriété abstraite du bâtiment .  

Le Corbusier sera le champion de cette étroite insertion de l’automobile dans une architecture domestique évoluée. Dès la maison-atelier construite pour Ozenfant,

en 1923, le garage est prévu au rez-de-chaussée, dans un espace cependant limité ; on le trouve également dans la villa La Roche-Jeanneret et dans la maison Planeix. Et bien entendu c’est dans la villa Savoye (1928-1929) que cette intégration prend toute son ampleur, et d’abord parce que, comme on le voit depuis les premières esquisses, le programme impose l’abri de trois véhicules. En découle le plan final, avec l’itinéraire d’accès sous pilotis, et l’entrée des véhicules, commandée par un ouvrant suspendu, dans un vaste garage à trois places, qui permet la manœuvre indépendante de chaque automobile. Dans ses esquisses, l’architecte multiplie les vues d’une automobile associée étroitement à la typologie de la maison sur pilotis, où l’auto trouve toute sa place (maison Citrohan). Et une fois en service, c’est souvent avec la photographie flatteuse de sa propre voiture, une Voisin, que l’architecte semble parachever son œuvre (villa Stein). 

La troisième formule, plus ambiteuse, correspond à une vision plus large des espaces de service, accessibles par une rampe qui commande l’accès à un vaste sous-sol sous l’ensemble de l’habitation. C’est le cas dans la villa construite à Croix pour l’industriel Paul Cavrois (Mallet-Stevens architecte, 1930-1931), où les voitures, depuis la grande piste circulaire et l’entrée sous auvent, gagnent par une rampe un garage en sous-sol, de plain-pied avec les autres espaces de service, caves à vins, buanderie et chaufferie. Un dispositif qu’on retrouve à l’identique, à la fin des années 1960, dans la somptueuse villa que Jean Dubuisson construit pour un riche promoteur à Pontpoint (Oise).  Mais cet enfouissement commode désigne aussi une évolution substantielle : l’automobile, devenu un instrument banal, ne participe plus à la portée esthétique de l’architecture domestique.  


©Gérard Monnier



Paul SMITH, "Robert Mallet-Stevens et la voiture automobile".dans Jean-Pierre LYONNET (dir.),  Robert Mallet-Stevens, architecte, Paris, Editions 15 square de Vergennes, 2005, p. 174-186.


Natacha MICHEL, « Vivre à la Pacifique », L’architecture moderne en mémoire, Les Cahiers de la DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, (Aix-en-Provence) nº 4 - 1994, p.  83-88.

Publié dans Publications & travaux

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