Flaminio Bertoni (1903-1964)

Publié le par Gérard Monnier

                             
à propos de l'exposition “Flaminio Bertoni, 30 ans d’art et d’histoire automobile”, Centre municipal André Malraux,
Antony, 19-31 mai 2004.

 

Flaminio Bertoni (1903-1964) 

 

Texte inédit

 

     Une récente exposition a rendu hommage à l’artiste et au designer, qui de 1932 à sa mort, contribua de façon particulièrement attachante à l’identité formelle des Citroën de la grande époque *.
     Jeune apprenti formé aux métiers de la carrosserie chez Macchi à Varèse, Flaminio Bertoni est aussi un élèvre brillant à l’école des beaux-arts, où les exercices académiques - le dessin du nu - lui donnent une culture visuelle de grande qualité ; bien plus tard, ses dessins et ses sculptures, présentés dans les salons parisiens des années 1950, proposent des interprétations puissantes, en particulier des postures des sportifs ; des médailles, un prix de sculpture, viennent récompenser un talent et une maturité qui ne sont pas ceux d’un amateur.
     C’est le dessinateur professionnel, le salarié de Citroën, qui fixe l’intérêt par ailleurs des historiens de l’automobile, qui voient en Bertoni un créateur de premier plan. Après un premier séjour à Paris en 1923, mis à profit pour travailler chez plusieurs carrossiers, il est de retour chez Macchi à Varèse, qu’il quitte en 1929. A Paris en 1931, il est employé chez un carrossier sous-traitant de Citroën, avant l’embauche, le 27 juin 1932, dans la grande usine du quai de Javel, où il ne tarde pas à s’imposer, en prenant au printemps 1933 l’initiative d’une maquette en volume pour le projet de la célèbre Traction avant, alors à l’étude. André Citroën et sa femme, attentifs à l’impact qu’aura un style neuf et élégant sur l’expression des nombreuses innovations techniques et industrielles de la nouvelle voiture, adoptent le projet de Bertoni. La carrière de celui-ci, qui a tout juste trente ans, est à partir de ce moment assurée. Chargé dès lors de toutes les études de style chez Citroën, il participe entre 1934 et 1940 à la mise au point des “tractions avant”, des berlines 7, 9, et 11 légère, puis de la 11 normale, à l’origine de la berline 15 CV, et de la déclinaison du modèle en cabriolets, coupés, et familiales. Les connaisseurs apprécient les subtiles évolutions des ailes avant, des phares, et du tableau de bord, et surtout la capacité à conserver l’élégance initiale du style à travers les variations importantes des dimensions, en longueur comme en largeur. Sa contribution ensuite à l’étude de la TPV (très petite voiture) conduit à l’étonnante 2 CV ; la comparaison entre le prototype de 1939 et la version commercialisée en 1949 est édifiante : dans le prototype, tous les problèmes de construction de la carrosserie, de la relation entre les parties fixes et les ouvrants, réalisés en tôle très mince (et nervurée pour le capot), sont posés mais non résolus. Dans la version construite, tous les problèmes d’assemblage et d’articulation ont une solution ingénieuse, dont la plus évidente est l’articulation du capot et des portes à partir d’un pli de tôle rectiligne, qui impose un design tout à fait insolite, obligé d’intégrer des lignes droites. Bien entendu, c’est après la guerre que l’étude de la DS permet à Bertoni de renouer avec le grand art de la forme suggestive ; l’affirmation du dynamisme de l’objet et l’allongement des lignes, déja présents dans les esquisses des années 1920, doivent composer avec l’habitabilité du volume. La démarche qui conduit à l’AMI 6, au tout début des années 1960, n’est pas moins inventive, puisque, sur une base technique et dimensionnelle qui est celle de la 2 CV, Bertoni parvient à renouveler le volume, la silhouette (la lunette inversée), le traitement de la tôle mince (par des emboutis nombreux), au terme d’un investissement qui associe les maquettes en volume et les dessins.
     On sait quelle place Jean Prouvé accordait, dans ses cours du CNAM, aux analyses et aux commentaires de la 2 CV ; ce n’est pas un hasard. Flaminio Bertoni et Jean Prouvé ont bien des points en commun : une pratique du dessin graphique, une culture artistique, une compétence d’homme de métier. En particulier, les rapproche la relation précise à un matériau, la tôle d’acier, qui est une donnée, dans leur pratique, du couple conception / fabrication. La tôle pliée, dans leurs deux démarches, est une solution technique qui a des conséquences formelles. Tous deux parviennent à imposer cette double culture, fabricatrice et esthétique, face aux conventions de la production industrielle.
   Non moins remarquable est leur statut ; tous deux sont intégrés à l’élaboration collective du produit, dans un processus industriel qui pour conséquence, pratique et juridique, l’anonymat de tel ou tel intervenant. Flaminio Bertoni, salarié de l’entreprise Citroën, n’a aucune identité de créateur, aucune autonomie, aucun droit sur l’œuvre. A peine l’identifie son statut de chef de bureau de design (mais quand acquiert-il ce statut ?) ; mais, comme pour Jean Prouvé, chef d’entreprise salarié des “Ateliers Jean Prouvé”, cette identité se limite à une position dans l’organigramme de l’entreprise, pas davantage. Et cet anonymat donne une réponse, probablement négative, à la question : se sont-ils rencontrés ? En dehors de l’entreprise, Bertoni ne semble avoir aucune reconnaissance de son impact de créateur, ni aucune vie sociale artistique, en dehors de sa participation comme sculpteur aux salons d’artistes. Présent-absent, Bertoni ne semble pas avoir participé, sous quelque forme que ce soit, aux manifestations qui identifient et à la fin célèbrent sa contribution à l'image de l'entreprise Citroën, qui semble n'avoir jamais mentionné, et à plus forte raison, jamais mis en valeur, son nom et son rôle.
     Si les documents et les témoignages permettent aux chroniqueurs et aux historiens, seuls, de dévoiler quelque chose dans cette opacité de la création dans le processus industriel, ce pouvoir trouve sa limite dans leur incapacité, bien entendu, à construire une identité juridique pour le créateur. On constate heureusement que, avec le temps, s’assouplit le contrôle de l’entreprise sur les livres et les expositions qui commémorent la démarche de Bertoni, au fur et à mesure que les études et les manifestations l’imposent comme un acteur de la saga Citroën.

 

G. Monnier

* Voir aussi Fabien SABATES et Leonardo BERTONI, Bertoni, 30 ans de style Citroën, Paris, éditions ETAI, 1998.


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Publié dans Inédits

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