Le logement social et son architecture en France : histoire et réception

Publié le par Gérard Monnier

Conférence à l’Ecole d’architecture de Paris-Belleville, le 11 avril 1998

texte inédit

 

Le logement social et son architecture en France :  histoire et réception                


    Cela fait 30 ou 35 ans que les historiens travaillent sur l’histoire du logement social et sur son architecture ; je pense en particulier au pionnier, Roger-H. Guerrand. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est qu’on s’interroge de façon objective et critique sur l’état de l’opinion publique face à cette architecture, sur les modalités de la réception de cette architecture du logement social ; en corollaire, on débouche aujourd’hui sur la question qui est la suivante : que faire aujourd’hui de ces bâtiments ? Leur obsolescence est souvent un problème ;  mais est-ce que nous laissons faire ou au contraire, devons-nous intervenir, et comment ?

    Cette problématique de la réception et de la responsabilité a prendre à l’égard de ce bâti est illustrée par des documents qui n’étaient pas imaginables il y a seulement 15 ans. Voici par exemple un petit dépliant sur le Familistère de Guise qui, vous le savez, est dans la protohistoire du logement social l’édifice-clé. L’existence de ce document, distribué dans un système organisé de tourisme social, organisé sur place, est significative des nouveaux intérêts. Le deuxième document est un dépliant qui parle d’un ensemble de logements les Grandes Terres, à Marly, construit, il y a bientôt 50 ans, dans l’ouest de Paris, qui a un certain intérêt historique et qui se trouve être, aujourd’hui, un modèle d’entretien et aussi de prise de responsabilité par les usagers. C’est donc bien sur ce double aspect, une question d’histoire et une question de responsabilité, qu’il faut s’arrêter.
    On voit apparaître aujourd’hui des publications tout à fait remarquables, impensables il y a 15 ans. Comme celui-ci, très récent, Le monde des grands ensembles, dirigé par Frédéric Dufaux et Annie Fourcaut, qui est la première étude comparée consacrée aux grands ensembles de logements dans le monde. Tous les pays du monde ne sont pas convoqués, mais la sélection est suffisamment importante en Europe, en Asie et en Afrique du sud pour que cela soit tout à fait fondamental. Il est évident que l’arrivée d’une étude comparée du logement nous ouvre de nouveaux horizons.
    Dans le même ordre d’idées, la semaine dernière a eu lieu à l’Université de Saint Etienne, et à l’Ecole d’architecture, un colloque qui avait pour titre : «Vivre au IIIe millénaire dans un immeuble emblématique de la modernité ». Bien entendu, ce sont des ensembles de logements sociaux qui étaient l’objet des analyses avec toujours la question : que se passe-t-il aujourd’hui, comment ces bâtiments vieillissants évoluent-ils ? etc…

Je me propose donc, dans ma présentation sur l’histoire du logement social, de mettre l’accent sur la réception et aussi sur la question du devenir de ces bâtiments ; vous allez le voir, les choses sont complexes.
    Il faut certainement, je pense, partir d’une notion précise : l’histoire du logement social est centrale dans l’histoire de l’architecture du XXème siècle. Nous pouvons bien sûr illustrer l’histoire de l’architecture avec toutes sortes de chefs d’œuvres, avec les héros de la modernité et leurs réalisations admirables. Mais, à bien y regarder, on devrait admettre que ce sont au XXème siècle les ensembles du logement social qui sont les œuvres principales. Pourquoi ? Parce qu’elles convoquent l’histoire sociale, qu’elles répondent à des crises de l’économie et de la société. Dans la phase d’industrialisation, à la fin du XIXème siècle, il est clair que le marché du logement est incapable de répondre aux besoins nouveaux des populations urbanisées, d’où les taudis, d’où la misère urbaine etc…Et c’est sur cette nécessité de corriger les effets de l’histoire sociale que l’architecture du logement social va se développer, un peu partout en Europe, puis dans le monde, avec des conséquences considérables. Elle est une réponse à la crise sociale, elle a une dimension politique, elle est immédiatement une stimulation très forte pour la pensée architecturale. Alors que les architectes n’ont pas été spontanément à l’origine de l’architecture du logement social, très vite la demande du logement social, et donc le marché de la commande, sont devenus très importants. Avec la création des offices publics d’habitations à bon marché notamment, l’accès à la commande est devenu une question centrale en France pour trois générations d’architectes successivement. Il y a là des aspects tout à fait forts : quand, autour de 1930, des architectes Prix de Rome se mettent à faire du logement social, et systématiquement, il est évident que quelque chose est en train de changer. Et ce changement ne va pas être seulement en termes d’histoire des architectes, de leur activité professionnelle. Ce changement va apporter des conséquences pratiques très faciles à énumérer.
    D’une part, la question que pose alors le logement social, c’est qu’il s’agit d’une architecture sans modèle ; et donc, pour l’essentiel, c’est une architecture qui stimule l’invention, qui stimule l’offre architecturale. Dès Tony Garnier, et bien avant 1914, l’offre architecturale va se précipiter pour croiser la demande sociale et politique. Cette offre architecturale va se diriger dans l’exploration de voies nouvelles, notamment dans l’invention typologique, c’est-à-dire la définition de la grande masse, de la grande forme du bâtiment.
     D’autre part, le logement social impose l’invention constructive, car la demande est une demande de construction économique et rigoureuse ;  donc on peut dire tout de suite que le logement social va stimuler chez les architectes, chez les techniciens et chez les professionnels du bâtiment des offres d’inventions techniques considérables, de façon à satisfaire au mieux la nouvelle demande. Et ainsi de suite jusqu’à l’augmentation du confort matériel qui va trouver dans les programmes du logement social un domaine d’application extrêmement stimulant. Le confort, l’eau chaude, l’éclairage électrique, le vide-ordures, les circulations mécaniques, plus tard l’ascenseur, les performances dans l’isolation phonique, thermique, la ventilation mécanique, tout cela va être implicite dans la demande, et vite formulé comme offre architecturale.
    On peut dire que durant trois générations, et cela jusqu’aux années 1970, on a cette extraordinaire concentration, en France, de l’activité de l’architecture et de l’invention typologique et technique qui se polarisent dans des réponses données à la question du logement social.
    Si on veut une définition du logement social, j’en donnerai une définition très large. Ce n’est pas seulement le logement des plus pauvres, c’est en réalité, dans une version plus moderne qui correspond aux approches des économistes actuels, c’est le logement des salariés.  Et notons que, une fois passé le cap de la reconstruction, c’est dans cette phase de la croissance, notamment dans les années 1950 et 1960, que le plein emploi et l’augmentation des capacités de consommation vont faire de cette période quelque chose comme l’âge d’or du logement des salariés.
Depuis les choses ont, bien entendu, pas mal changé. La transformation de la politique du logement à partir des années 1970, l’instabilité des emplois, la précarité dans le travail salarié : ces phénomènes deviennent des phénomènes en rupture totale avec les données antérieures. Dans les nouvelles conditions de la vie sociale et économique, il n’est pas question de retrouver des politiques aussi volontaristes, aussi équilibrées avec la demande de celles que nous avons connues dans les années 1950 et 1960. Cette histoire a eu un certain nombre de repères tout à fait frappant en termes d’institutions, notamment à travers l’entrée des pouvoirs publics dans la maîtrise d’ouvrage et, de ce que l’on va nommer, les institutionnels, les acteurs sociaux : les offices d’HLM, les coopératives d’HLM (supprimées en 1971), les associations diverses. Ces différents acteurs sociaux vont durant 3/4 de siècle jouer un rôle considérable dans l’activité qui conduit à la réalisation de logements sociaux. Jusqu’aux promoteurs, il ne faut pas s’y tromper. Lorsque les promoteurs des années 50 lancent les programmes de Logeco, on reste encore dans ce que j’appelle, au sens large, le logement social, c’est-à-dire le logement des salariés. Si on accepte cette donnée, on voit une implication beaucoup plus forte qui permet d’intégrer justement, des ensembles comme celui des Grandes Terres qui sont des ensembles de copropriétés Logeco, en gros pour la classe moyenne inférieure.
    Voici les principaux repères sur la politique du logement en France. La première loi qui permet l’intervention des pouvoirs publics est la loi Siegfried, en 1894, qui permet à une société d’Habitation à Bon Marché (HBM) d’emprunter à des conditions avantageuses à la Caisse des dépôts et aux Caisses d’épargne. Vient ensuite en 1912 la loi Bonnevay, qui  permet la création des offices municipaux et départementaux d’HBM, permettant un décollage tout à fait important entre les deux guerres des opérations du logement social, à l’initiative des villes et des départements, puis la loi Loucheur en 1928. Un repère symbolique intéressant, mais demeuré virtuel : dans la masse des mesures sociales prises  après la seconde guerre mondiale, il y a un projet oublié, soigneusement enfoui depuis, une revendication formulée en mars 1944 à Alger, dans un congrès d’ingénieurs et de techniciens, qui se prononcent pour la création d’un service public de l’habitat. Cela veut dire, que de la même façon que la voirie ou que l’école, la production et la gestion du logement pourraient relever d’une organisation publique. L’histoire n’a pas tranché : cette organisation devait-elle être municipale ? ou nationale ? la question n’est pas posée. Cette revendication, qui est parallèle à la création de la sécurité sociale dans les années immédiates de l’après-guerre, sera défendue à la tribune de l’assemblée constituante par un jeune député, Claudius-Petit, qui sera le ministre de la reconstruction plus tard. Cette revendication, dont le poids politique est évidemment très lourd, est restée sans suite.
I    l n’empêche que cette question de l’intervention des pouvoirs publics dans le logement devient l’axe principal de la politique du logement dans les années qui suivent la seconde guerre mondiale. Et une fois la reconstruction terminée, c’est, en phases successives, toute une série de décisions politiques fortes qui font de la production de logements une priorité nationale, dans le cadre d’une économie planifiée ; le 2º (1954-1957) et le 3º plan (1958-1961) organisent une production massive de logements qui atteindra le nombre de 550 000 logements en 1973. C’est dans cette période que les innovations les plus fortes se mettent en place, symbolisées par toute une batterie de mots nouveaux ; les logéco, le grand ensemble (un terme qui s’impose à partir 1959), les ZUP (zones à urbaniser en priorité).
    Donc je reviens à ma thèse, partagée par de nombreux historiens : pendant cette période, entre 1900 et 1960, le logement social est un moteur important de la pensée architecturale. Il suffit de penser à des grands noms, Tony Garnier ou Le Corbusier, pour voir que, effectivement, dans leur temps, la question du logement social a orienté de façon extrêmement forte leurs préoccupations, leur théorie et leur pratique architecturale et même artistique.

Photographie n°1 : Dans la banlieue de Lyon,  vers 1930. Une image en forme d’aide- mémoire pour évoquer ce qu’est cette misère humaine, cette misère des périphéries urbaines, des banlieues des années qui vont de la fin de l’avant-guerre jusqu’aux années 30. Ici nous sommes dans la banlieue de Lyon, il est évident que la précarité de l’habitat, l’inconfort complet sont le lot d’un grand nombre.

n°2. Le Familistère, à Guise, vers 1860. Je remonte aux origines, à ces origines protohistoriques du logement social en France qui sont marquées par l’intervention patronale, qu’il ne faut pas oublier, car elle va jouer un rôle important ; elle est même la source principale jusqu’au développement de la législation sur les HLM. Le prototype de cette intervention, ici d’un patron bienveillant, c’est le fameux Familistère de Guise qui, sous la forme d’un « Palais social » abrite, autour de grandes cours vitrées, des appartements, desservis par des coursives, où loge, de façon extrêmement rigoureuse et encadrée, le personnel de l’entreprise de l’industriel Godin. C’est un exemple bien connu aujourd’hui qui rappelle cette première forme du logement social dans laquelle, notons-le, l’architecte n’est pas identifié. C’est Godin et le personnel de l’entreprise qui, semble-t-il, dessinent le projet ; notons cette absence symptomatique des professionnels du projet architectural.

n°3. Les habitations dans l’étude Une Cité industrielle, de Tony Garnier, 1917. Un changement radical, avec cette contribution de l’architecte Tony Garnier. Tony Garnier est un architecte lyonnais, qui a compris les problèmes de la vie sociale de son temps. Lauréat du Prix de Rome, il nargue l’autorité académique en envoyant - comme « envoi de Rome », pendant son séjour à la villa Médicis -  les dessins d’Une Cité industrielle (qui seront publiés en 1917). C’est une déclaration politique : l’architecture doit s’intéresser à la grande demande du temps - on est en 1904 - qui est celle de la population des villes industrielles. Ici le logement est bâti en béton armé, dans des formes rudimentaires ; mais assouplies par la végétation. Il faut insister là-dessus, sur cette compensation de la pauvreté voulue de l’architecture par un cadre végétal plus noble, un thème constant chez cet architecte.

n°4. Projet pour le Concours de la Fondation Rothschild, rue de Prague, à Paris, 1905, C’est une prise de position qui va accompagner, sur le papier, la nouvelle maturité des attitudes, d’abord chez les industriels philanthropes qui patronnent de grandes opérations de logements, comme cette Fondation Rothschild (1905) aux termes d’un concours bien géré, avec un programme très élaboré. Ce concours est symptomatique d’une part, de la stimulation de l’intérêt d’une jeune génération d’architectes, qui vont se précipiter pour envoyer des projets à ce concours, mais aussi du fait qu’une bonne partie de la compétence se trouve concentrée dans la maîtrise d’ouvrage. C’est un ingénieur, Emile Cheysson qui rédige le programme du concours et il est évident que cette concentration de la pensée logique, de la pensée technique et économique dans les mains de la maîtrise d’ouvrage a un sens.  Fini le maître d’ouvrage béat et incompétent ! À partir de ce concours pour la Fondation Rothschild à Paris, il est clair que les compétences sur le projet vont être partagées - phénomène considérable - entre les architectes et ceux qui formulent la demande, c’est-à-dire les maîtres d’ouvrage. Dès lors, et en particulier dans le personnel des offices publics d’habitation, la compétence du maître d’ouvrage va être un élément extrêmement important pour la suite de l’histoire.

n°5. Immeuble du Groupe des Maisons ouvrières, rue de la Saïda, Paris XVº arr., 1913,  plan d’ensemble. En 1913, le Groupe des Maisons ouvrières organise une opération, longtemps méconnue, bien identifiée aujourd’hui. Ici, pas de concours, et l’architecte,  J. Labussière, donne une réponse très nouvelle. Les bâtiments ne sont plus groupés autour d’une cour, ils ignorent la limite de la parcelle. Ce sont des plots, des plots identiques qui permettent la standardisation des éléments de construction : la préfabrication découlera bien entendu de cette innovation. Ces plots ont des plans calqués les uns sur les autres ; les bâtiments sont décalés en hauteur d’un demi étage, les uns par rapports aux autres. Tout cela apporte d’un seul coup une masse d’innovation typologique tout à fait considérable. Cette construction à ossature de béton armé avec remplissage de briques, avec un décor pratiquement absent, met en évidence les caractères généraux de l’innovation en relation avec la clarté de la demande sociale.

n°6. Immeuble du Groupe des Maisons ouvrières, rue de la Saïda, Paris XVº arr., 1913, l’élévation.Bien entendu cette innovation n’est pas un exercice de style moderne. Le travail de  Labussière  ne porte pas d’abord sur l’esthétique du bâtiment ; mais les données sont réunies pour que cette esthétique avance, et se transforme.

n°7. Immeuble du Groupe des Maisons ouvrières, rue de la Saïda, Paris XVº arr. 1913 ; vue aujourd’hui. Ces bâtiments ont été respectés. Ils ont récemment fait l’objet d’une restauration poussée conduisant à améliorer les circulations ; des ascenseurs ont été ajoutés pour les circulations verticales, des extensions ont été faites pour augmenter la surface trop petite de ces logements. Si ces bâtiments ont survécu, ce n’est pas à la suite de mesures de protection du type des monuments historiques, mais par des travaux de recyclage, d’adaptation visant à tenir compte d’une nouvelle demande, notamment pour l’accessibilité aux étages et par l’extension des surfaces disponibles dans chacun des appartements. De façon symptomatique cependant, un plot entier a été conservé dans son intégrité, avec son escalier à claire-voie.  Alors que l’intégrité est la règle dans des travaux qui interviennent sur des monuments historiques, on le verra à différentes reprises, pour le logement social la nécessité d’adapter le bâti aux nouvelles valeurs d’usage conduit à des transformations qui se font aux dépens des critères d’authenticité formelle que l’on rencontre dans d’autres opérations.

n°8. Ensemble de logements HBM, rue des Amiraux, Paris, XVIIIº arr. 1925 ; vue en perspective ; La dimension des opérations liées au logement social - on ne le sait pas encore en 1910 ou en 1920 - va produire un nouveau paysage urbain. Cette considération commence peut-être avec cet ensemble d’Habitations à bon marché de l’office municipal d’HBM de la mairie de Paris, qui est traité par un architecte important, Henri Sauvage qui, vous le savez, intègre un équipement public, une piscine, dans l’ensemble de logements.

n°9. Ensemble de logements HBM, rue des Amiraux, Paris, XVIIIº arr., 1925 ; coupe.  On comprend très bien cette combinaison avec la coupe. Dans le vide laissé au centre par le retrait des étages,  l’architecte va loger un équipement public. Dès ce moment les opérations prennent une direction tout à fait frappante où l’invention typologique prend une place considérable.

n°10. Ensemble de logements HBM, Cité de la Muette, Drancy, Seine-Saint-Denis, 1931-1934, Beaudoin et Lods arch. ; vue aérienne. Voici une opération emblématique de la force que représente cette commande de logement social dans la pensée architecturale et constructive. L’opération de la Muette à Drancy est gérée par l’office HBM de la Seine, sous la coupe d’un maître d’ouvrage, Henri Sellier, un élu – maire de Suresnes, il sera ministre de la santé dans le gouvernement de Front populaire - très attentif à sortir des limites de la pensée architecturale académique. Le programme est confié à deux architectes, Eugène Beaudouin (Prix de Rome) et Marcel Lodz, qui est le technicien du binôme. On voit la nouvelle combinaison inédite de tours et de barres, complétée par une usine de chantier, impressionnante, qui permet la préfabrication des composants industriels sur le site. Les tours ont une structure d’acier riveté sur le modèle du gratte-ciel américain ; et la circulation est mécanisée (ascenseurs),

n°11. Ensemble de logements HBM, Cité de la Muette, Drancy, Seine-Saint-Denis, 1931-1934, Beaudoin et Lods arch. ; les tours. Les parois sont faites d’éléments de béton armé vibré, fabriqués par l’usine sur le site. Les tours ont été détruites en 1976.

nº 12. Ensemble de logements HBM, Cité de la Muette, Drancy, Seine-Saint-Denis, 1931-1934, Beaudoin et Lods arch. ; détail des tours. La construction intègre toutes sortes d’éléments sophistiqués. Notamment des persiennes réalisées par Jean Prouvé et son entreprise ; des persiennes qui s’escamotent dans la double paroi sur les côtés. Il s’agit-là d’un chantier tout à fait important dans le démarrage des concepts de la construction industrialisée.

n°13. Ensemble de logements HBM, Cité de la Muette, Drancy, Seine-Saint-Denis, 1931-1934, Beaudoin et Lods arch. ; détail des barres. On voit ici des éléments typiques de cette typologie, les balcons avec des parois en béton moulé, à claire-voie, le séchoir extérieur au bâtiment. Ces bâtiments, vous le savez, vont être frappés d’un destin effroyable, puisqu’ils vont héberger durant les années de guerre, les victimes de la shoa en transit vers les camps de la mort. Ces bâtiments vont ensuite, pour la plupart, être rasés en 1976. Mais il reste que ces tours constituent un moment fort dans l’histoire constructive du logement des salariés.

n°14. Ensemble de logements HBM, à Villeurbanne, Rhône, 1931-1935,  M. Leroux arch. ; vue d’ensemble du projet. Une autre opération, tout à fait emblématique, et significative de la démultiplication des initiatives, se trouve dans une commune de la périphérie de Lyon, à Villeurbanne. Il s’agit d’une initiative du maire qui, à partir d’opérations foncières menées à la suite de la débandade de certaines industries de la commune, achète des terrains ; devient ainsi disponible un terrain sur lequel on va loger tout à la fois des équipements municipaux, un palais du travail, un hôtel de ville et toute une série de logements locatifs. Ceux-ci sont traités d’une façon spectaculaire comme des édifices à redents et à cours ouvertes, dominés à l’extrémité par une composition formelle évidente,  deux tours d’habitation inspirées du gratte-ciel  américain détourné de sa fonction. Cette monumentalisation du logement social est combinée avec des équipements sophistiqués comme un chauffage central urbain.
Il est intéressant de voir dans cette opération, à la fois importante, municipale et un peu naïve,  un point de fixation de cette volonté de sortir de toutes les normes architecturales antérerieures pour réaliser le logement des salariés. Il se trouve que ces bâtiments, après une histoire assez chaotique, liée aux batailles municipales locales dans les années 30, aux soupçons d’affairisme chez les uns et chez les autres, vont, en 1982 être célébrés par la ville au travers d’une fête pour le cinquantième anniversaire des gratte-ciel de Villeurbanne. Le mot gratte-ciel va d’ailleurs se fixer dans la toponymie locale au point de donner son nom à la station de métro ; il y a là des effets culturels tout à fait symptomatiques. Depuis les années 80, et régulièrement, les édifices sont soigneusement entretenus

n°15. Ensemble de logements HBM, à Villeurbanne, Rhône, 1931-1935,  M. Leroux arch. ; une cuisine et son équiepment. Voici une photographie qui met en évidence l’état d’équipement de la cuisine au début des années 30 dans ce type de logement. Remarquez ce détail très significatif : il y a un robinet d’eau chaude et un robinet d’eau froide sur l’évier, et à l’époque, compte tenu de l’état d’inconfort prononcé de la plupart des logements français, il s’agit bien là d’une exception.  Ventilation, cuisinière à gaz, électricité : tout cela appartient à la promotion d’un nouveau mode d’habiter.

n°16/17.  Ensemble de logements HBM, à Villeurbanne, Rhône, 1931-1935,  M. Leroux arch. ; les gratte-ciel en 1999 .Voici des photos récentes qui montrent que l’entretien par l’office municipal est de grande qualité, une manifestation de réception positive, et dans la durée, incontestable.

n°18. Etude pour un immeuble-villas, 1922, Le Corbusier. Une toute autre démarche, qui prend très vite des allures de proposition théorique, est celle de Le Corbusier qui, dès 1922 va constamment, et durant pratiquement 30 ans, remettre sur le métier la problématique du logement collectif. Voici le premier état d’une étude à destination commerciale, un peu naïve, où des appartements de hauts standing sont prévus avec loggias ouvertes  sur les deux niveaux de l’appartement duplex. A partir de cette version de l’immeuble-villas, qui veut être la synthèse de l’agrément de la villa dans la construction collective,  on assiste à une marche continue qui, de projets en projets, conduit au concept de la Ville Radieuse, formulé par Le Corbusier en 1935. La V.R. – une publication porte ce titre en 1935 - représente le standard de l’immeuble collectif, monté sur pilotis avec toit habité et appartements traversants.

n°19. Etude pour la Ville Radieuse, 1935, Le Corbusier. Il s’agit d’une coupe d’un immeuble de type Ville Radieuse avec des appartements en duplex, tête-bêche, encadrant une rue intérieure qui libère totalement les façades de toutes les coursives, jusqu’alors la solution la plus courante pour la distribution du logement  collectif ; le toit-terrasse est habité, un étage technique est disposé à R+1, au niveau d’une voirie automobile suspendue etc…Les volumes de circulation sont encore des volumes séparés à l’extérieur du bâtiment, mais il s’agit bien de la première esquisse qui va conduire, au lendemain de la guerre, aux Unités d’habitation de Marseille, de Rezé, de Briey et de Firminy.

n°20. L’unité d’habitation, Bd Michelet, à Marseille, Bouches-du-Rhône, 1946-1952, Le Corbusier arch. ; vue aérienne. En 1946, le ministre de la Reconstruction, lui-même, passe commande à Le Corbusier d’un bâtiment expérimental qui correspond, à mon avis, exactement au programme du service public de l’habitat. Le travail de conception est extrêmement important.

nº 21 / 22. L’unité d’habitation, Bd Michelet, à Marseille, Bouches-du-Rhône, 1946-1952, Le Corbusier arch. ; coupe. Une équipe, nombreuse met au point durant des années le projet avec des compétences techniques considérables, celles de l’ingénieur Bodiansky en particulier. Dans un tel schéma par exemple, ce sont les réseaux de circulation de l’air qui sont étudiés. Construction, ventilation, chauffage, tous ces éléments vont faire l’objet d’études très poussées,  mises au point pour le bâtiment de Marseille. Voici quelques aspects peu connus, comme cet étage technique - que les récentes maquettes à la cité universitaire ont à peu près escamotées - accessible, à hauteur d’homme, qui permet de caser dans ce niveau effacé tous les systèmes techniques possibles : de chauffage, de ventilation, de descente des ordures.

 
n°23. L’unité d’habitation, Bd Michelet, à Marseille, Bouches-du-Rhône, 1946-1952, Le Corbusier arch. ;  la rue intérieure.  Cette photographie montre le bâtiment achevé en 1952 ; les habitants disposent de services tout à fait originaux : livraison de denrées fraîches, de repas préparés, une auberge à destination des parents et amis de chaque occupant, une créche sur le toit, une école maternelle, etc ; bref, une organisation perfectionnée, mais qui est totalement en porte-à-faux en termes d’usage et de coût. Avant même la livraison du bâtiment, dans un climat qui a changé - nous ne sommes plus dans les années enthousiastes de la Libération - l’Etat se résigne à étudier une solution pour sortir de cet embryon de service public de l’habitat, qui n’est pas gérable en termes de charges locatives.  Et c’est ainsi, qu’avant même la livraison du bâtiment, l’Etat prend une décision : l’immeuble sera entièrement vendu en copropriété. L’immeuble va ainsi perdre son statut, et tous les services qui étaient intégrés dans cet embryon de service public de l’habitat vont également disparaître, eux aussi, avec ce changement de statut juridique. Changement qui n’ira pas sans difficulté. Il faudra en effet des années pour que l’Etat apaise les esprits des locataires qui ont longtemps considéré comme leurs biens propres les espaces collectifs, notamment le gymnase sur le toit. Bref, l’Etat y mettra le prix, et vendra les appartements à très bas prix et réussira autour de 1954/55 à se débarrasser littéralement de cette dotation devenue encombrante.


nº 24. L’unité d’habitation, à Rezé, 1953-1955, Le Corbusier arch. ; vue d’ensemble.  Les autres unités, elles, ont un destin et un statut tout à fait différents. Elles ont comme origine des commandes qui viennent des organismes du logement social. C’est une coopérative d’habitations à bon marché à Nantes qui prend l’initiative de construire Nantes-Rezé avec des simplifications importantes.  On s’éloigne de l’architecture monumentale et spectaculaire de Marseille ;  ces caractères ne se rencontrent plus dans les versions adaptées de Rezé, de Briey et de Firminy.

n°25. L’unité d’habitation, à Rezé, 1953-1955, Le Corbusier arch. ; les pilotis. De très importantes économies sont opérées dans le programme, et dans la construction, radicalement différente dans son principe même, de façon à passer à travers les prix d’une opération d’habitation à bon marché - le terme est encore en vigueur au moment de l’opération de Rezé en particulier - Ceci conduit à supprimer l’étage technique, la rue commerciale, à multiplier les piliers par deux, à les rendre minces et plus discrets ; un pilier sur deux fait l’objet d’un retrait vers l’intérieur du plan de façon à ce que ce soit un pilier sur deux qui apparaissent dans l’enfilade, mais en réalité c’est deux fois plus de supports qu’à Marseille, pour des raisons de construction.

n°26. L’unité d’habitation, à Rezé, 1953-1955, Le Corbusier arch. ; le parc. L’extension du parc est tout à fait remarquable à Rezé, puisqu’il s’agit d’une dotation non pas de l’organisme constructeur mais de la ville. La ville va s’intéresser progressivement à cette unité d’habitation et va l’accomplir en dotant l’unité d’un très grand parc qui est un cadeau de la ville.

n°27. L’unité d’habitation, à Firminy, 1959-1967, Le Corbusier arch. À Firminy dans un premier temps, c’est le bonheur, manifestement. Cette photo de 1970  montre que, comme l’architecte le souhaitait, la relation au site se fait de façon très positive avec cette appropriation par la population descendue des étages.

N°28. Les Unités dans le territoire, dessin, c. 1935, Le Corbusier arch. Cette innovation typologique entraîne une conception urbaine nouvelle. Des barres limitées, qui comptent entre 300 et 400 logements, conduisent à ce type de paysage urbain esquissé ici de façon systématique par l’architecte dans les années 30. Il est évident là aussi que le logement social conduit à une transformation complète du paysage urbain.

n°29-30. Ensemble de logements, Meudon-la-Forêt, 1959-1961, F. Pouillon, arch. ; vue d’ensemble et détail de l’élévation. Les années d’après guerre vont être marquées par l’intervention extrêmement forte de l’Etat dans la construction du logement en France. En phases successives, c’est d’abord un encouragement puissant donné à l’entrée des méthodes industrielles dans la construction et ce, dès 1950. Le ministère de la Reconstruction encourage architectes et entreprises à participer ensemble à des concours pour que, à grande échelle, les coûts soient réduits. De cette façon, la règle du jeu est clairement annoncée : les grands ensembles à la française vont se développer, non sans une certaine pauvreté architecturale. Cette pauvreté architecturale n’existe pas dans les premières années. On voit un certain nombre d’architectes qui se piquent pour essayer de relever le défi de la construction du logement de masse. C’est le cas de Pouillon en particulier qui, à Meudon, à partir de la mise en œuvre d’un matériau que l’on croyait dépassé, la pierre sciée, réalise ce grand ensemble de Meudon-la-Forêt avec les matériaux de la maçonnerie, mais renouvelés par les techniques industrielles. Dans ce climat d’invention, d’exploration, les tempéraments s’affirment de façon extrêmement forte. Et c’est dans ce sens que les années 50 ont été pour ces architectes courageux un moment très intéressant. C’est le cas aussi pour Emile Aillaud - j’ai cru comprendre que vous étiez devenus certains d’entre vous des familiers des Courtilières – dont j’inscris historiquement la démarche tout à fait dans cette période où l’architecte, à condition d’entrer dans la règle du jeu qui implique l’économie d’échelle, la production à travers un grand projet de plusieurs milliers de logements, trouve des capacités d’interventions encore personnelles.
    Dès 1953-54 - c’est-à-dire après une première phase lorsque Claudius-Petit, au ministère, pilotait encore l’architecture - la Caisse des dépôts, avec la SCIC, va prendre le relais et imposer des opérations massives. Les vrais grands ensembles commencent à ce moment-là : à Sarcelles, à Poissy et ailleurs

nº31. Ensemble de logements, les Grandes Terres, Marly, Yvelines, 1955-1958, Lods, Honegger arch. ; projet initial. Une des opérations les plus intéressantes de ce point de vue, parce que cela sera une réussite à l’égard des habitants, va être l’opération des Grandes Terres à Marly. L’architecte, ici Marcel Lods, a encore cette très ancienne initiative du choix du terrain ; Marcel Lods, après avoir parcouru à vélo ces sites intermédiaires entre les villes de Saint-Germain-en-Laye et de Versailles, se souvient d’un grand terrain peu utilisé planté de quelques vergers rabougris ; il parvient ensuite à monter une société avec quelques confrères architectes. Il faudra le relais d’un promoteur de qualité, Manéra, pour lancer le projet de ce qu’il faut nommer une unité de voisinage. Dans les concepts du moment, l’unité de voisinage a un rapport à la voirie particulier, puisque sur le site, dans tous les projets, la voirie va être périphérique et les bâtiments concentrés au centre. Les projets vont varier. Dans un premier temps, Lods, en partisan acharné de l’industrialisation de la construction, lance l’idée de bâtiments de très grande hauteur (70 mètres de haut), qui sont refusés par la commission des sites parce que, entre le parc de Marly, le château de Versailles, le parc et le château de Saint Germain, tout cela est assez délicat. Ce premier projet à grande hauteur de construction est donc écarté

N°32-34. Ensemble de logements, les Grandes Terres, Marly, Yvelines, 1955-1958, Lods, Honegger arch. ; projet définitif, plan et vue d’ensemble. Le projet définitif comporte des barres de R+4 et des plots avec des orientations différentes. Les appartements ne sont pas traversants, la partie centrale est réservée à un espace vert et à un équipement de sport, à un centre commercial, à des écoles très bien situées, et à une chaufferie. Le statut est celui de logeco, qui permet l’accession à la propriété pour des couches moyennes ; un succès immédiat va répondre. Nous sommes en 1953-54, la crise du logement est à son comble en région parisienne et malgré une desserte un peu problématique, les acquéreurs vont se précipiter.

n°35-36-37. Ensemble de logements, les Grandes Terres, Marly, Yvelines, 1955-1958, -Lods, Honegger arch. ; vue des bâtiments.  La réalisation, d’abord dans un paysage assez ingrat, montre les barres, les plots, les écoles, et le centre commercial qui s’installe sur le site. La végétation est entièrement contrôlée par les associations de copropriétaires, et constitue une très grande réussite en termes de gestion du site et du parc immobilier. À chaque groupement, qui associe un square et un plot, répond un syndicat de copropriétaires, dont la réunion, fédérée dans un ensemble général, dispose de moyens importants et maîtrise sur la durée et dans d’excellentes conditions l’entretien du bâti et des espaces verts. C’est de ce point de vue une très grande réussite pour les acteurs sociaux de proximité. Les bâtiments sont standardisés, les systèmes de préfabrication en voile de béton et en dalles conduisent à cette structure alvéolaire, où des éléments de remplissage, avec leur dimension adaptée, viennent compléter le gros œuvre.

n°38. Ensemble de logements de la Cité de l’Etoile, Bobigny, Seine-Saint-Denis, 1954-1957, Candilis, Josic, Woods, arch. ; plan masse. Je vais passer rapidement sur une des péripéties suivantes où les conditions deviennent plus difficiles. Ici nous sommes dans une opération Million, conduite pour la SA d’HLM Emmaus, en réponse à l’extrême urgence née de la pénurie de logements dénoncée par l’abbé Pierre. Candilis et son équipe tentent de régler par la répétition et la standardisation l’économie de la construction ; la polychromie – enduits peints - donnait au départ leur identité à cette combinaison de barres et d’une tour.
 
n°39-40. Ensemble de logements de la Cité de l’Etoile, Bobigny, Seine-Saint-Denis, 1954-1957, Candilis, Josic, Woods, arch. Aspect initial et aspect actuel.

n°41. Opération Maine-Montparnasse, Pais, XIVº et XVº arrt. , 1961-1973 ; plan d’ensemble.  Je propose de terminer cet inventaire de l’innovation par une opération urbaine très caractérisée, l’opération Maine-Montparnasse. Entre 1961 et 1973, c’est-à-dire durant 12 années, cette opération transforme complètement l’emprise ferroviaire, réorganise le bâti sur la partie du site ainsi libéré, avec notamment la fameuse tour, des bureaux et des logements.

n°42-43. Ensemble de logements, Maine-Montparnasse II, rue Mouchotte, Paris, XIVº arrt., 1964-1966, J. Dubuisson arch. Pour le programme de logements, cette partie de l’opération est confiée à un prix de Rome, Jean Dubuisson. Les immeubles de la rue Mouchotte comportent 800 logements, la plupart traversants ; la structure de voiles de béton et de planchers est complétée par des panneaux de façade, en verre et en aluminium anodisé, qui exprime la volonté caractéristique des architectes d’apporter un matériau moderne dans l’espace urbain, confronter à la ville haussmanienne - il fallait le faire- et de le justifier par des performances en termes d’usage et de maintenance. Après bientôt 40 ans, ces panneaux de façade ont bien résisté au temps. Remarquez la volonté très affirmée d’uniformité, d’égalitarisme complet (au sens politique), exprimée par un architecte de formation classique qui accepte d’abolir toute hiérarchie formelle dans la composition du bâti. Il y a là une marque culturelle importante et significative de la façon de penser des architectes à ce moment.

n°44. Ensemble de logements, Ivry-sur-Seine, Val-de-Marne, 1969-1981, J. Renaudie arch. ; vue d’ensemble. Les années 60 vont être, vous le savez, le temps de l’énoncé d’une réflexion critique sur l’urbain, sur le droit à la ville, et, aux proclamations de simplicité rigoureuse et d’égalitarisme total, vont succéder des opérations d’un sens radicalement différent. Les plus caractéristiques sont celles de Jean Renaudie, à Ivry, à Givors (Rhône) ; par la triangulation des plans, par le travail sur la coupe, aussi très important, Renaudie apporte des capacités d’habitat tout à fait nouvelles, en permettant notamment d’associer des terrasses privées aux appartements. Vous voyez la démarche, qui part d’un changement typologique et qui aboutit à  une nouvelle problématique de l’habitat. Rien de plus contrasté que d’opposer la silhouette complexe de cet ensemble aux tours homogènes qui se trouvent derrière.

n°45. Ensemble de logements, Ivry-sur-Seine, Val-de-Marne, 1969-1981, J. Renaudie arch. ; vue d’une terrasse. L’appropriation par les habitants, voici le programme culturel, tout à fait différent, qui est ici proposé.

n°46-47-48. Etude pour Une artère résidentielle, 1967, Jean Bossu arch. Arrêtons-nous sur ces images, qui sont parfaitement cohérentes avec la stimulation de l’invention typologique, fréquente dans les années 1960. Cette étude est menée par Jean Bossu qui, à ses frais, réalise maquettes et photomontages à partir d’un concept typologique extrêmement simple : une unité d’habitation, c’est bien, deux unités d’habitation face à face, c’est mieux. Et en créant ainsi un espace intermédiaire particulier, réservé aux piétons, Jean Bossu avance sur la voie ouverte par ses maîtres, dont Le Corbusier, tout en amplifiant le propos à la création d’un morceau de ville plus cohérent puisque les équipements dans les parties inférieures et les espaces disponibles vont très bien dans ce sens. Il faut insister sur le fait que cette étude, en1967, coïncide exactement la fin de la croissance.

n°49. Ensemble de logements, L’Arlequin, Villeneuve de Grenoble-Echirolles, Isère, 1966-1977, AUA arch. Le thème général, ici, est celui de la continuité urbaine : il s’agit d’une gigantesque barre qui se déplie en segments rectilignes sur un plan angulaire. Toute l’affaire est dans la coupe. Sur un socle, qui abrite le niveau technique, une rue, ouverte sur les côtés, circule sous le bâtiment. De cette rue partent les circulations verticales ;  côté nord, cette rue donne accès au silo sur lequel sont juchées les écoles, et côté sud, vers des équipements publics, notamment une maison de quartier, des écoles et collèges, et aussi la vision du parc. Ce projet intellectuel et social tout à fait remarquable, qui s’incarne dans une démarche typologique, comparable à celle du Mirail à Toulouse, ou du Lignon, aux portes de Genève. Il faut insister sur cette période qui a conduit à des opérations de cette taille, même si la vie de ces bâtiments n’a pas toujours été celle à laquelle on pouvait s’attendre.

nº 50-51. Ensemble de logements Nemausus, Nîmes, Gard, 1985-1987, J. Nouvel et J.M. Ibos arch. Dans les années qui suivent 1973, il n’est plus question d’opérations de cette taille ; le logement social subsiste, mais le programme a perdu sa force de stimulation, pour les maîtres d’ouvrage comme pour les architectes. Il reste toutefois, ici et là, des opérations qui vont faire date, et qui correspondent à un renouvellement des professionnels, et à l’activité d’une nouvelle génération d’architectes. Voici Nemausus, à Nîmes, par Jean Nouvel, ensemble de logement commandé et géré par l’office public d’HLM de la ville. L’architecte, dans cette construction en béton, habillée d’acier galvanisé, va réussir une performance quantitative très fortes. Il parvient à offrir, à partir des prix du marché de la construction HBM, des surfaces plus grandes ; il y parvient si bien qu’il va être rattrapé, et d’une certaine façon disqualifié par son succès même, car l’office d’HLM en question applique ensuite des tarifs de location et de charge au prorata des surfaces. Jean Nouvel aura beau se répandre dans des articles vengeurs, en particulier dans la presse spécialisée, rien n’y fera. L’office HLM, en appliquant cette méthode de calcul des loyers et des charges, condamne les locataires de cet ensemble, qui disposent de plus grandes surfaces, à une rotation importante. De tous les ensembles gérés par l’office d’HLM de Nîmes, on dit que c’est le bâtiment où la rotation des locataires est la plus importante en raison de ce malentendu, de cette erreur de départ sur le calcul des charges locatives et des loyers. Vous voyez que nous ne sommes plus dans un climat d’expériences positives où maîtres d’ouvrage et architectes se proposaient des objectifs compatibles.

Nº 52. Ensemble de logements, rue des Hautes-Formes, Paris, XIIIº arrt., 1976-1979 Ch. De Portzamparc et G. Benamo, arch. Autre opération remarquable, à la suite de la commande par un des grands acteurs du logement social à Paris, la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), qui  prend à partir de la fin des années 70 la décision de confier systématiquement ses programmes à de jeunes architectes. Dans son projet, Christian de Portzamparc traite du rapport de cet ensemble de logements sociaux avec l’espace urbain. La tradition innovante se renouvelle, en s’appliquant essentiellement à l’organisation de l’espace bâti et à l’occupation de l’espace urbain.

nº53. Ensemble de logements, quartier des Etats-Unis, Lyon, (Rhône), 1919-1931,  T. Garnier arch. ; état vers 1990. J’en viens à la réception. Nous avons vu les expériences, maintenant que se passe-t-il sur le terrain et dans la durée, plusieurs décennies après la construction ? Les choses sont assez simples. Ce sont les acteurs de proximité qui vont répondre. Les architectes ont disparu, ils ne sont plus les acteurs de ce qui se passe ensuite, en général. La maîtrise d’ouvrage, elle-même, s’est renouvelée et, le temps passant, observons ses réactions. Le quartier des Etats-Unis à Lyon, par exemple, est créé en 1919 par la ville de Lyon, qui passe commande à Tony Garnier. Celui-ci livre un ensemble simplifié, qui découle de ses études sur le logement social ; il est construit en béton, avec un confort minimum et une variété très faible. Il s’agit d’une répétition à l’identique de plots homogènes, complétés par des espaces collectifs relativement importants et préservés des espaces de la voirie, et  aussi par des commerces de proximité dans les rez-de-chaussée. Nous sommes au sud du centre urbain. Voici ce qu’on observe sur le site à la fin des années 80 : les édifices souffrent d’un manque d’entretien évident, le contrôle des transformations apportées par les locataires est inexistant, les uns ferment leur loggia avec un vitrage, les autres ajoutent des systèmes d’occultation des baies, chacun fait ce qu’il veut. Les loyers sont demeurés excessivement faibles, il s’agit d’une convention sociale initiale, qui fait qu’il n’y a pas de rotation des locataires, plusieurs sont là depuis bien souvent leur entrée dans le bâtiment au milieu des années 30. Vieillissement de la population, absence d’entretien par les responsables institutionnels, laissé aller général etc ; les édifices dans ces conditions auraient pu disparaître. Et d’une façon tout à fait surprenante, ce sont les initiatives d’habitants, appuyée par un certain nombre d’acteurs sociaux de Lyon, qui vont permettre de remonter la pente.

n°54-55-56. Ensemble de logements, quartier des Etats-Unis, Lyon, (Rhône), 1919-1931,  T. Garnier arch. ; état en 1999. La réhabilitation est engagée et négociée avec les locataires. Les appartements ne sont pratiquement pas touchés par la rénovation, qui porte sur les élévations et sur les parties communes,  comme les escaliers, avec adjonction d’ascenseurs ; les espaces collectifs vont connaître un nouveau souffle. Lorsque 20 ans après les acteurs sociaux racontent l’histoire, ils insistent sur le fait que l’élément fédérateur a été la création d’un appartement-musée, qui a été entièrement équipé par les meubles et les objets apportés par les habitants eux-mêmes et déposés dans cet espace, qui restitue le cadre de vie des années 30. Cette réhabilitation est complétée par un traitement très méticuleux des espaces verts, étant entendu que l’on a conservé et respecté les éléments de départ : ces longs bancs, ces pergolas symboliques sont d’origine. D’un seul coup, il est évident que la clarté et la dignité sont entrées dans l’opération.

n°54-55-56. Ensemble de logements, quartier des Etats-Unis, Lyon, (Rhône), 1919-1931,  T. Garnier arch. ; les pignons peints. Puisque l’on pouvait bénéficier de crédits à condition de proposer l’isolation des pignons - selon les spécialistes consultés, l’isolation n’était pas en réalité nécessaire compte tenu de l’épaisseur des murs – et comme il y avait un crédit affecté à cette isolation, on a isolé les pignons. Et ce faisant, des acteurs locaux ont engagé un cycle extraordinaire de peintures murales, les unes ayant trait à des thèmes généraux, notamment internationaux, le plus grand nombre étant la reproduction, avec des effets de montage, des planches de l’œuvre majeure de Tony Garnier, Une Cité industrielle, publiée en 1917. Ces peintures murales, pour une population qui n’avait jamais eu vraisemblablement accès à ces images, sont une référence à la pensée architecturale qui avait engagé la conception du bâtiment. Dans cette  opération exceptionnelle, l’exécution, de très grande qualité, particicpe peut-être à une installation des conditions du respect. Et à quelques exceptions minimes près, en l’espace de quinze ans maintenant,  on constate qu’il n’y a eu ni tag ni dégradation.

nº 57. Ensemble de logements, quartier des Etats-Unis, Lyon, (Rhône), 1919-1931,  T. Garnier arch. ; les nouveaux accès. L’installation d’ascenseur, demandée par les habitants, a été traitée à l’écart de tout critère d’authenticité rétrospective.

n° 58. Ensemble de logements, quartier des Etats-Unis, Lyon, (Rhône), 1919-1931,  T. Garnier arch. ; les commerces. Les commerces de proximité sont restés en activité, ce qui est tout à fait important pour la vie sociale du quartier.

nº 59. Unité d’habitation, Rezé, Loire-Atlantique, 1953-1955, Le Corbusier arch. ; vue d’ensemble. Je reviens sur une Unité d’habitation de Le Corbusier, celle de Rezé, Les études des sociologues ici ont été en 40 ans innombrables. De mon côté, j’ai publié un livre il y a deux ans sur la vie des  unités d’habitation dans la durée ; c’est à Rezé que, durant ce long laps de temps (le bâtiment étant mis en service en 1955, cela fait bientôt 50 ans), la vie sociale a été la plus forte et satisfaisante (ce que montrera très bien le film tourné par Lilith Production pour FR3) . La satisfaction des habitants face aux conditions de logement, face aux possibilités de la vie sociale dans le bâtiment, tout cela a été très souvent étudié et enregistré. Le fait qu’il y ait une école municipale sur le toit ajoute un lien social extrêmement fort malgré les transformations importantes de la population actuelle. Car on ne peut pas empêcher la désuétude des surfaces, et ces appartements apparaissent aujourd’hui comme limités pour une famille avec enfants ; les normes d’occupation pratique ont changé et il est évident que le vieillissement de la population s’accompagne de phénomènes démographiques particuliers liés à des familles monoparentales plus nombreuses, d’assez nombreux couples sans enfant, et malgré tout la vie sociale reste importante. Il faut noter l’intérêt de la municipalité de Rezé pour la Maison radieuse. L’ancien maire, Jacques Floch,  élu en 1983, s’est pris d’un intérêt très fort pour l’architecture et pour la commande architecturale dans sa commune. Il a intégré l’architecture existante, notamment l’unité qui se trouve à 300 mètres de l’Hôtel de ville, dans son programme d’actions municipales favorables à l’expression récente de l’architecture.

nº 60. Unité d’habitation, Rezé, Loire-Atlantique, 1953-1955, Le Corbusier arch. ; vue du chantier de restauration des élévations, en 1999. C’est à Rezé que, pour la première fois, par rapport aux autres unités d’habitation, on constate que tout le système de garde-corps préfabriqué, qui forme les loggias et les balcons, est en mauvais état et doit être refait. Des dépenses considérables sont engagées, il s’agit d’un chantier lourd, dans lequel l’Etat n’a pas un grand rôle bien que l’édifice soit inscrit à l’inventaire supplémentaire ; ce sont les collectivités locales et les habitants qui vont prendre en charge cette dépense extrêmement importante. Et si nous cherchons des éléments objectifs de la réception, en voici un incontestablement alors que le bâtiment au niveau national a sombré toujours dans une gentille indifférence - il n’y a que l’Unité de Marseille qui compte - localement le bâtiment bénéficie d’une reconnaissance qui s’est monnayée au moment de l’engagement de la dépense. Une entreprise locale de Nantes a en effet mis un point d’honneur a arracher le marché ; elle a ouvert une carrière pour retrouver les agrégats similaires à ceux d’origine, créé une usine de chantier de façon à refaire à l’identique les éléments préfabriqués après leur dépose. Dans cet engagement financier des collectivités, nous avons la manifestation des effets d’une réception locale positive et forte.

n°61. Unité d’habitation, Rezé, Loire-Atlantique, 1953-1955, Le Corbusier arch. ; vue à partir du nouvel hôtel de ville. Voici une autre manifestation de cette réception locale. Lorsque le maire, Jacques Floch, en 1989, décide la construction d’un nouvel hôtel de ville, le lauréat du concours, Alessandro Anselmi, architecte d’origine italienne, est lauréat du concours avec un projet, qui entre autres qualités, met en valeur la vision à distance de la Maison radieuse. Je ne connais pas d’autres exemples, que 40 ans après la construction du bâtiment initial, un autre maître d’ouvrage et un autre maître d’œuvre, qui sont d’une autre génération,  vont se mettre d’accord pour que le projet relève de la scénographie, par la mise en valeur des vues lointaines de l’unité d’habitation. Lorsque la population entre dans le circuit administratif de l’hôtel de ville, elle est à l’endroit où est prise cette photo, et il est évident que c’est pour elle qu’opère cette scénographie qui met en valeur la vue oblique de l’unité. Il est évident qu’il y a là une intention, par l’institution municipale, de produire une relation visuelle de caractère artistique dans l’organisation de l’espace urbain.

n°62. Ensemble de logements, les Grandes Terres, Marly, Yvelines, 1955-1958, Lods, Honegger arch. J’ai déjà dit l’essentiel : c’est une excellente gestion de proximité qui a permis d’affronter des rénovations lourdes ; ainsi les panneaux de façade qui ont été changés pour de meilleures performances thermiques, et en admettant une certaine distance par rapport au modèle initial. La gestion des espaces verts est tout à fait remarquable. L’organisation complexe des bénévoles qui gère l’association, appuyée sur des professionnels et sur des emplois nombreux, a permis, à partir d’un programme de logeco, une réussite tout à fait exceptionnelle, évidemment méconnue, car lorsque l’on pense aux désordres des cités, on ne pense pas aux Grandes Terres de Marly, qui démontre que la gestion de proximité est l’effet de la réception interne.

n°63-64. Ensemble de logements, Le Havre, Seine-Maritime, 1950-1960 ; atelier Perret.   Si la municipalité à Marly ne joue aucun rôle, c’est le contraire au Havre. La reconstruction du Havre avait laissé la population longtemps insatisfaite, devant des espaces démesurés, vides, associés à une construction rigide, d’une grande sévérité, qui avec le temps devenait triste et un peu sinistre. Une initiative des techniciens de la mairie, qui vont engager, à partir de 1985, des opérations de ravalements.  Ils sont parvenus à piloter le ravalement complet du bâti, effectué par les différentes parties prenantes, les propriétaires et les bailleurs, et par les entreprises qui allaient opérer sous l’encadrement et la stimulation de la mairie,. Ce document de 1995 montre un chantier du ravalement qui s’achève : voici une architecture redécouverte. Et cela a été très périlleux parce que en termes de prise de position politique cela a eu des conséquences piquantes, notamment pour l’opposition, qui n'a pas pu faire autrement, une fois de nouveau au pouvoir, que de trouver cette opération finalement très positive alors qu’elle avait pendant de longues années dénoncé et « l’architecture stalinienne » et la municipalité à majorité PCF. Depuis les choses se sont amplifiées de façon étonnante pour l’observateur que je suis, puisque la ville du Havre, après cette reconversion hardie,  a négocié avec l’Etat une ZPPAUP,  et a décidé de présenter sa candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO. Et lorsqu’on sait l’état des batailles d’idées qui pendant 25 ans ont agité les élus, on est assez confondu par cette issue : la portée politique de la qualité de l’espace public l’a heureusement emporté. Autre exemple de réception locale, où les contreverses ont précédé le consensus. Il est évident que dans cette affaire, c’est le niveau municipal qui prend l’initiative et qui parvient à construire les procédures convenables pour obtenir des résultats ; mais que ce soit les usagers à Rezé ou à Marly, ou que ce soit la ville au Havre, les initiatives ne sont pas prises par l’administration de l’Etat.

n°65. Ensemble de logements, Ivry-sur-Seine, Val-de-Marne, 1969-1981, J. Renaudie arch A Ivry, à nouveau, l’appropriation de l’habitat relève de la réception interne.

n°66. Ensemble de logements, Angers, Maine et Loire, 1972-1975, Kalouguine arch. Le haut niveau de l’entretien par l’office public d’HLM, pour cet autre ensemble de logements à Angers, est là aussi tout à fait remarquable.

    Je voudrais en résumé dire qu’il faut reconnaître combien les innovations ont souvent été

très puissantes, et combien le service du logement a eu localement, souvent, une très grande importance dans la vie sociale pendant plus de 40 ans. En regard, on a aujourd’hui de grandes variations sur le sens des interventions récentes sur les bâtiments de cette période.    
    Mentionnons d‘abord la stigmatisation que va être la destruction des grands ensembles. Campagnes de presse aidant, ses destructions symboliques ont été trop fréquentes ces dernières années pour qu’il soit besoin d’y revenir. Dans ce cas, les pouvoirs publics interviennent ; ces destructions semble-t-il ont toujours pour origine les pouvoirs publics. Toutes sortes de moyens détournés appuient cette stigmatisation dans l’opinion, cette construction de la haine contre les « cités » ; par exemple, la recherche de boucs émissaires : « les architectes dans ce temps-là étaient des nuls » ; ou encore la dénonciation des chercheurs irresponsables qui prétendent s’intéresser à ce genre d’objet. Dans cette étude des grands ensembles dans le monde, que j’évoquais tout à l’heure, la France serait la championne toute catégorie de la destruction du parc du logement social. Dans d’autres pays, la destruction ne se pose pas, ne peut pas se poser puisqu’on prend en compte évidemment la valeur d’usage résiduelle du bâti, un point de vue qui s’oppose à la destruction.
    Le second niveau dans l’intervention est celui de la continuité entre l’entretien et la restauration matérielle, qui est à mon avis une continuité essentielle. Lorsque les acteurs sociaux ont su maintenir à un bon niveau l’entretien, les opérations lourdes de la restauration matérielle ne posent pas de problème, au contraire, ils sont compris et cautionnés par la population. On le voit dans le cas de Rezé : il est évident que s’il y avait eu entretien médiocre, puis détestation, suivie de la fuite de la population, les investissements lourds apportés par les collectivités locales ne se seraient pas produits.
    Le troisième cas, c’est l’objectif d’amélioration de la valeur d’usage, que représente assez bien l’opération du quartier des Etats-Unis à Lyon. La création des ascenseurs et l’amélioration des parties communes ont répondu à la demande des habitants, et par conséquent, il s’est construit une culture de quartier ; relativement faible il y a 25 ou 30 ans, elle est devenue maintenant telle qu’elle est suffisamment efficace pour écarter les dégradations banales. Ajoutons à cette opération la dimension proprement culturelle qu’apporte cette enrichissement par les images, ces images offertes à la population du quartier et non sans résultat. Il est évident qu’un certain nombre d’attitudes locales vont dans ce sens.
Mais il y en a d’autres. Des opérations plus cosmétiques qui conduisent à un ré-habillage des barres. Ces opérations existent, il ne faut pas se le cacher, elles sont souvent mises en avant par des architectes et des entreprises, qui y trouvent un secteur d’activité comme un autre. Ces opérations sont inscrites, notamment dans les stations de sport d’hiver des Alpes françaises, dans des tentatives, quelques fois pathétiques, de reconstruire une clientèle par une politique de communication. Si les clients ne viennent plus, c’est la faute aux architectes, donc changeons-en ! Changeons nos barres, habillons-les ! Habillons nos combles, mettons des balcons - indispensables en altitude bien entendu - mettons des balcons de bois à ces façades de barre et nous pourrons faire des prospectus séduisants et certainement, bien entendu, la clientèle va revenir. Je vous laisse à penser les attitudes complaisantes des fabricants de ces systèmes de communication qui parviennent à convaincre des élus et des acteurs sociaux d’engager des travaux très coûteux dont le destin commercial réel est on ne peut plus douteux. J’ajouterais qu’il y a aussi des architectes qui se font aussi une spécialité « canabalistique » de dévorer l’ancêtre, de dévorer l’œuvre de l’ancêtre ;  faute de dévorer l’ancêtre lui-même, on dévore son œuvre, on la dénature. On a vu ainsi des barres ouvertes par de grands créneaux à Lorient ou à La Garenne, près de Paris, et il y a là dans ces ablations partielles des opérations qui donnent à penser.
    Je voulais conclure en disant que dans toutes ces interventions positives, qui sont souvent intéressantes à étudier aujourd’hui, il y a un acteur qui est absent, c’est l’Etat. Dans ses manifestations d’intérêt pour l’architecture du XXe siècle,  l’Etat a manifestement choisi de les poser sur des secteurs socialement moins difficiles, moins politiquement dangereux : la protection du logement social au titre des monuments historiques est évidemment limitée à un tout petit nombre de bâtiments, ceux de Perret et ceux de Le Corbusier pour l’essentiel. L’apposition du label XXe siècle, bien qu’il n’ait aucune valeur contractuelle et qu’il n’engage à rien, est assez peu déployée vers les vestiges du logement social. Il y a là une situation claire que les acteurs sociaux de proximité relèvent.
    Ce qui est encourageant, c’est de constater que, ici ou là, les acteurs sociaux conduisent avec beaucoup de jugement les opérations de réhabilitation pour concilier à la fois le respect de l’œuvre et l’amélioration de la valeur d’usage des bâtiments.



Publié dans Inédits

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