Les arts en Afrique au XXe siècle : regards croisés

Publié le par Gérard Monnier

"Les arts en Afrique au XXº siècle : regards croisés",
avec Yacouba KONATÉ, Jean-Loup PIVIN, Omar CARLIER
Les Rendez-vous de l'histoire,  Blois 17-20 octobre 2003

 

Exposé liminaire

 

L’art africain contemporain : voici le thème de notre table ronde ; impossible cependant d’enjamber comme si de rien n’était l’immense production historique d’œuvres d’art du continent et la place qu’elle occupe maintenant dans le musée imaginaire de notre culture.L’art pariétal du Hoggar, l’art égyptien, l’art des bronzes du Bénin, tout l’art des bois sculptés et polychromes de l’Afrique noire : bref, l’Afrique est un continent au-jourd’hui très présent dans notre histoire des formes.

Je voudrais pour commencer dresser un rapide aperçu des modes d’entrée de ces formes dans notre culture.

Il y a eu d’abord un mode colonial, avec la découverte et la collecte des œuvres d’art du continent africain : Jean Laude, dans l’ouvrage de références, La Peinture française (1905-1914) et “l’Art nègre”, Paris 1968, mentionne la découverte de l’art d’Ifé et du Bénin en 1897 par une expédition punitive des Anglais, qui les conduit à saisir d’un coup les fameux bronzes, confiés en partie aux musées britanniques, et en partie dispersés sur le marché européeen au début du XXº siècle. Notons cette dénomination première d’un art colonial (c’est à dire trouvé dans les colonies, et non pas produit par la colonisation). Dans le même sens, la découverte d’un art en Afrique par le dessinateur et sculpteur Herbert Ward, qui accompagne Stanley en Afrique Centrale, et qui publie en 1890 un récit de voyage où il relate avoir vu les sculpteurs d’idoles en bois.  Mais sans en tirer la moindre leçon artisti-que dans son propre travail.

Vint ensuite un mode ethnologique, avec la constitution des musées d’ethnographie un peu partourt en Europe, dans la seconde moitié du XIXº siècle ; à partir de 1870, l’Afrique noire est mise en coupe réglée ; il s’agit de dizaines de milliers de pièces, une rafle dont l’ethnographe Van Gennep en 1914 établit un bilan critique. On note la présence de nom-breuses pièces concernant les territoires où la France installe des colonies (AOF, AEF), au Musée d’ethnographie du Trocadéro, et, concernant le Congo, au musée de Tervuren en Belgique. La relation des types d’objet et des formes avec les ethnies et les territoires amorce un processus de différenciation des arts africains, au détriment de l’unité supposée de l’art nègre.

Puis intrevint un mode artistique, par la reconnaissance par des peintres, à Paris, à partir de 1907, d’une valeur artistique aux pièces de l’art nègre disponibles sur le marché (attesté par Kahnweiler). Une “reconnaissance préparée”, pour Jean Laude, “par le mouvement général des idées créatrices” (p. 121). Une reconnaissance de la sculpture par des peintres, notons-le.

Dans le groupe formé par Matisse, Derain, Picasso, Braque et Vlaminck, la découverte de l’art nègre, comme manifestation d’un art instinctif, “dans tout son primitivisme et dans toute sa grandeur” (Vlaminck, 1943). Le “masque blanc du Congo”, qu’un ami de son père offre à Vlaminck, celui-ci le vend 20 francs à Derain, qui le montre à Matisse et à Picasso. Le marchand Vollard obtient de faire fondre en bronze une copie, par le fondeur de Maillol .

Pour Derain, l’art nègre prend sa place dans la conception d’un musée universel. Pour Francis Carco, “un art encore assez vierge pour créer de l’admiration chez les uns et un sentiment de l’horrible chez les autres” (Carco, 1920).  Le premier album consacré à l’art nègre est publié en 1915, Negerplastik, par Carl Einstein, puis en 1916, à New York, Afri-can Negro Art, par Marius de Zayas.  L’intronisation de l’art africain, au sein des autres arts primitifs, est confirmée par la publication du Blaue Reiter à Munich en 1912. En 1922, une salle de la XIIIº Biennale de Venise est ouverte à la sculpture africaine. La première exposition en France, hors musée d’ethnographie, a lieu au Pavillon de Marsan, en 1923 : “L’exposition de l’art indigène des colonies françaises d’Afrique et d’Océanie et du Congo Belge”. Notons qu’on déprécie les pièces venues des colonies anglaises et allemandes, qu’on trouve “moins nègres”, et qu’on suspecte d’être métissées d’influences européennes.

Cet art africain traditionnel tire un grand prestige de son obscurité. Et le connaisseur est celui qui détache des éléments identifiés, un caractère ethnologique ici, un caractère magi-que ou rituel là. Et le connaisseur construit ainsi une sorte de clair-obscur intellectuel.

Enfin, se répand un mode commercial, à partir d’un marché plus ou moins structuré (à Paris, à Marseille, depuis le début du XXº siècle), de constitutions de collections, et de leur passage en ventes publiques ; la collection de Paul Guillaume, celle d’André Derain. Le surcroit de légitimation récente de la valeur artistique par le musée (voir le Musée Dapper, à Paris). Aujourd’hui, le développement du marché de l’art africain est tel que les experts estiment que 95 % des pièces de l’art africain traditionnel sont hors du continent, où les musées sont l’exception.

Depuis la seconde guerre mondiale, la question d’une production contemporaine est posée. Que reste-t-il de l’art traditionnel ? Il y a trente ans, pour Jean Laude : rien. La  question des techniques cependant ne peut être évacuée : ne reste-t-il rien de la culture plastique des sculpteurs, d’un art du bois et d’un art du bronze ?

Depuis, on a identifié un art néo-traditionnel (John Picton) : dans les années 1940 et 1950 au Nigeria, des sculpteurs sont au travail dans la décoration des églises chrétiennes, avec des figures de saints, de rois mages ; une clientèle privée continue à apprécier les bronzes. Surtout, la commande pour le décor des édifices publics, après les indépendances, donne un débouché temporaire un peu partout au travail néo-traditionnel

Il faut faire une place, surtout, à l’invention de l’artiste, pour reprendre l’expression de Jean-Loup Pivin.  Sous le régime colonial, entre les années 1930 et 1960, Pivin identifie, à l’initiative d’artistes et d’enseignants occidentaux (Kenneth MURRAY au Nigéria, Pierre LODS à Brazzaville-Poto-Poto) , les formations locales de l’artiste, distinct de l’artisan traditionnel (dans l’Afrique francophone et anglophone). Des centres : à Lagos, à Léo-poldville, Brazzaville.  Le contact est souvent étroit avec les formations académiques eu-ropéennes ; les disciplines dominantes sont le dessin et la peinture, la problématique est le plus souvent naturaliste. C’est le point de départ d’une reconnaissance en Europe (1º expo-sition d’artistes nigerians à Londres en 1937), et de la construction d’une identité artistique contemporaine, associée aux revendications du nationalime post-colonial : dans ce sens émerge une personnalité centrale  : le sculpteur Ben ENWONWU (1918-1994).   Notons la très forte activité en Afrique du sud, véritable creuset d’une ouverture des artistes africains à l’art moderne occidental : le sculpteur Ernest MANCOBA,né en 1904, est co-fondateur en Europe du mouvement COBRA en 1948. 

Le temps des indépendances, après 1960, ouvre une nouvelle phase : dans les nouveaux Etats, on se détourne, non sans dégâts, du patrimoine, de la tradition tribale (contradictoire avec les frontières, héritage de la colonisation) (M’BOKOLO, p. 216-223). Mais on af-firme une identité africaine moderne, dont l’art serait l’intrument. La contribution de la culture noire à la civilisation mondiale : tel est le sens que Léopold Ségar SENGHOR donne au “1º Festival mondial des arts nègres”, des Etats généraux de la négritude, avec  une dimension internationale et intercontinentale ; (Dakar, avril 1966). Provenant de trois continents, 800 œuvres sont exposées dans le Palais de Justice de Dakar. Pour Ousmane SOW HUCHARD :

 “l’art nègre traditionnel, qui disposait déjà d’une côte respectable auprès des européens depuis le début du XXº siècle, avait fécondé un “Art contem-porain”, un “Art d’aujourd’hui”, symbole vivant du dynamisme des diffé-rents foyers artistiques africains” (Anthologie...p. 227).

Ce panafricanisme est encore à la base aussi du Festival des arts de Lagos en 1977. Mais au delà, les vicissitudes des politiques nationales et la crise des économies post-coloniales, créent les conditions d’une situation troublée. Cependant partout un enseignement acadé-mique s’installe dans le domaine des formations publiques (Jean-Loup Pivin, p. 267). Et la production oscille entre un “art social”, la demande d’œuvres intégrées à la commande architecturale, et la demande privée des élites économiques. Partout la ville devient “le creuset de la créativité” (M’Bokolo, p. 271).

Les experts saluent avec les années 1990 un nouveau départ : affirmation nouvelle d’une culture panafricaine, avec la création de la Biennale de Dakar en 1992, à l’initiative de l’Etat du Sénégal. Autorité d’un cercle de professionels de l’art, qui s’écartent du projet ethnologique. Et pour toute une génération, on assiste à l’effondrement des frontières culturelles, y compris entre Afrique et Occident.

Voici les thèmes sur lesquels nous allons nous interroger :

- qu’en est-il de l’histoire des arts en Afrique ? Quels sont les centres ? où sont les princi-paux acteurs ? quels sont les choix méthodologiques ?
- quels sont, dans les productions artistiques, les poids respectifs des traditions et de la modernité ?
- quelles sont les composantes de la vie artistique aujourd’hui ? Les pratiques, les institutions qui comptent ?
 














Publié dans Préfaces

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