OUVRAGES SOUS PRESSE : “DICTIONNAIRE DES IMAGES” - Anamorphose

Publié le par Gérard Monnier

©Gérard Monnier


3 notices (sur 9) pour le Dictionnaire des Images, Nouveau monde éditions, octobre 2006 :


Anamorphose – Chantier - Ruines




ANAMORPHOSE



Repères


1485Un croquis (visage d’enfant) de Léonard de Vinci attteste sa connaissance du procédé


1531  Ehrard Schön, graveur à Nuremberg, peint son premier Vexierbild (tableau à secret)


1533 Holbein peint Les Ambassadeurs, et il dispose au premier plan l’anamorphose d’un crane, en relation avec le symbole de Vanité.


1638  Jean-François Niceron (1613-1646) publie à Paris La Perspective curieuse.


1642 et 1644 Jean-François Niceron peint la figure de Saint-Jean  l’Evangéliste 

à Pathmos, en anamorphose, sur le mur du couvent des Minimes, à Rome et à Paris.


1868 Renouveau de l’anamorphose dans la gravure populaire en France

1970  Retour des anamorphoses dans la peinture murale, en Allemagne et en France ; début d’un nouvel intérêt des artistes pour le procédé et ses applications.

1996Felice Varini dispose, dans l’espace de l’Ecole d’architecture de Nancy, les fragments d’une perspective fragmentée, que par analogie, on nomme anamorphose.  



Contemporain de l’invention de la perspective, l’anamorphose – « en remontant vers la forme » - est un procédé qui efface sous une image confuse et déroutante l’évidence d’une représentation plane, tout en la préservant. Cette représentation  se révèle lorsque le spectateur, en déplaçant son point de vue, découvre, par une visée oblique, l’image restituée. Il en existe une application paratique, familière : sur la route, et pour un acteur circulant dans le sens de la circulation, le dessin au sol de la flèche de direction et celui du signal « cycliste », sont traités en anamorphose. Depuis la Renaissance, son emploi dans les arts visuels est cyclique.

« Le système est établi comme une curiosité technique, mais il contient une poétique de l’abstraction, un mécanisme puissant de l’illusion optique et une philosophie de la réalité factice » Jurgis Baltrusaitis, 1955

Aujourd’hui, l’anamorphose appliquée à l’architecture désigne aussi le procédé qui reconstitue, à partie d’un unique point de vue, une image virtuelle, dispersée en fragments illisibles dans l’espace d ‘une construction.



Un jeu savant


On connait l’approche enthousiaste des applications de la perspective à la question du décor de la scène de théâtre, à partir de travaux de Serlio et de Palladio. L’anamorphose (mais le nom n’apparait que plus tard) à ses débuts est une mise au point dans les corrections de l’espace pour obtenir l’illusion qu’apporte la vision en perspective. Et lorsque on cherche à mobiliser l’autorité des exemples antiques, on la trouve dans la légende d’un concours pour une sculpture de Minerve à placer sur un pilier élevé, où l’œuvre de Phidias, aux formes étranges, est méprisée à côté ce celle de son rival Alcamène, jusqu’au moment où, une fois les statues mises en place, les déformations de la statue de Phidias sont les seules à restituer une apparence harmonieuse.   Au XVIº et au XVIIº siècle, on sollicita aussi, et de façon tout à fait erronée, la colonne Trajane, dont on estimait qu’elle était un prodige d’optique « faisant les figures d’autant plus grandes qu’elles viennent à diminuer pour la hauteur des lieux » (Lomazzo, 1649).

Si on repère des travaux pionniers, dès le XVº siècle, chez Léonard de Vinci et dans son entourage,  il faut attendre le XVI º siècle pour trouver une utilisation fréquente et variée de l’anamorphose.  A partir de 1530, pour plusieurs  artistes  allemands, peintres et graveurs, la mise au point, grâce à ce procédé, d’une image cachée permet la production de tableaux secrets, où tout ou partie de la surface est tracée sous la forme d’une anamorphose. L’œuvre la plus célèbre est le portrait des Ambassadeurs, peint par Hans Holbein en 1533, où une étrange masse claire flotte au premier plan, une sorte d’os de seiche énigmatique, comme le proposerons plusieurs observateurs ; pour un observateur situé sur le côté du tableau, l’image d’un crâne se reconstitue, tandis que le faste des vêtements et le luxe des objets qui entourent les personnages s’effacent. A l’instant de la vision de la mort, on quitte les plaisirs profanes de la vie.  Peu d’œuvres concilieront aussi bien le sens et la rareté technique du procédé, qui donne une signification précise à l’instant de la découverte de l’image. Cette place faite à la temporalité du spectateur dans la réception des œuvres plastiques est demeurée exceptionnelle.

Un élève de Dûrer, Erhard Schön (1491-1542), habille ses gravures d’un paysage confus, peuplé de petites figures, de navires et de constructions diverses ; un regard oblique dévoile les bustes de contemporains (Charles V, Ferdinand Ier, le pape Paul III, et François Ier). Dans une autre gravure de 1538, la vision latérale révèle un couple nu, la femme occupée à masturber de la main gauche le sexe de l’homme. 

La vision redressée dans un miroir cylindrique, orthogonal au support, relève aussi de ce procédé ; d’où un jeu savant, dans le monde des objets domestiques, qu’exploitent aujourd’hui d’habiles fabricants.  D’où des usages cryptés, qui vont de la dissimulation d’un portrait à l’effacement d’un dessin obscène, du message politique masqué à la charge  satirique. Il en découle depuis le XVIIº siècle une pratique artistisque marginale, qui trouve sa voie surtout dans les gravures de colportage.



Des applications optiques

 Comme le trompe l’œil, et comme les « perspectives curieuses », l’anamorphose se déploie dans un art de peindre qui privilégie l’élaboration et le contrôle d’une image qui est une performance visuelle.  Les peintres les plus avancés dans ce domaine s’écartent de la peinture du tableau – de ce point de vue, si on peut dire, le tableau de Holbein est une exception -  et ils recherchent dans l’art mural les conditions favorables à une observation dirigée de l’image en anamorphose. Jean-François Niceron, un géomètre spécialiste de la perspective, expose ses procédés, les mets à la portée de tous les peintres en publiant en 1638 La Perspective curieuse.Il élabore sur le mur de deux couvents des Minimes, à Rome (1642) et à Paris (1644), une anamorphose de la figure de Saint-Jean  l’Evangéliste à Pathmos.  




Actualité  de l’anamorphose


 Une des conséquences du retour de l’artiste dans l’espace public, ce phénomène international des années 1970, est le renouveau de l’anamorphose dans la peinture murale, en particulier en Allemagne, où elle s’inscrit dans un hommage aux artistes de la Renaissance, et en France ; dans un ensemble de logements sociaux à Gardanne, Bouches-du-Rhône, des étudiants d‘arts plastiques de l’Université évoquent l’image nostalgique d’un café disparu, Le café des  Amis,  interprétée par une expérience optique de « l’espace capable », dans la forme d’une anamorphose, qui renouvelle le rapport peinture/architecture. Dans les années 1990, alors que se manifeste un nouvel intérêt pour la qualité du décor mural de pièces de réception des habitations, les décorateurs professionnels trouvent dans des anamorphoses raffinées une offre adaptée à la demande née de ce retour des élites à l’hédonisme.

Mais le phénomène dominant est dans les performances des images en perspective fragmentée que, par analogie, on nomme anamorphose.  En fonction d’un point de vue unique, les fragments restituent des images claires et évidentes, qui se se disloquent et s’effacent dès que le spectateur se déplace ; cette participation du spectateur relève d’une interactivité identique à celle qui est en œuvre dans l’anamorphose historique. Avec leur capacité à occuper un espace à trois dimensions, elles rivalisent avec les installations, sans en avoir l’encombrement . A moins que, situation encore plus originale, l’image fragmentée peinte sur une installation lui donne un intérêt caché ; ainsi, au Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire, en 2004, une accumulation désordonnée de branches d’arbres, un vrai chablis d’après tempête, se révélait le support d’un parfait « cercle d’or » (Jean-Pierre Brazs). 

Avec une démarche cohérente depuis les années 1980, un artiste, Felice Varini utilise la complexité des espaces intérieurs d’édifices publics, halls ou vestibules, pour disposer les fragments de figures géométriques, que la vision perspective restitue à partir d’un point de vue accessible. La mise en place s’effectue à partir de la projection d ‘une diapositive, dont les contours sont repérés par des rubans adhésifs. L’efficacité du procédé permet des réalisations de grande dimension ; la maîtrise de de « l’espace capable » conduit à une originale saturation visuelle des édifices, et stimule une relation inédite des usagers avec le bâtiment. 


Gérard Monnier



A lire 



Jurgis BALTRUSAITIS, Anamorphoses ou perspectives curieuses, Perrin, Paris, 1955


Alberto PEREZ-GOMEZ, Perez-Gomez Louise PELLETIER,  Anamorphosis : An Annotated Bibliography : With Special Reference to Architectural Representation , Mcgill Queens University, 1996


Kirsti ANDERSEN, The mathematical treatment of anamorphoses from Piero della Francesca to Niceron. History of mathematics: states of the art, 3--28, Academic Press, San Diego, CA, 1996.



Illustrations


Hans Holbein, Les Ambassadeurs, 1533, huile sur bois, 207 x 209.5 cm.,  Londres, National Gallery.


Jean-Pierre Brazs, le Cercle d’or, Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire, 2004

Gérard Monnier Artedia


Felice Varini, Une ligne, mille et une droites, Paris, Musée Bourdelle, 2006

 


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