Préambule Docomomo-UNESCO 2002

Publié le par Gérard Monnier

Exposé introductif à la VII ème Conférence internationale de  Docomomo,

UNESCO, Paris, 2002

 

    Madame la Directrice de l’architecture et du patrimoine,  ou M. le Ministre,
    Monsieur le Directeur de l’UNESCO,
    Monsieur le Directeur du Centre du Patrimoine mondial
    Madame la Présidente de l’Institut Français d’Architecture,
    Monsieur le Directeur de l’Institut Français d’Architecture,
    Monsieur le Président de DOCOMOMO international,
    Madame la Présidente de DOCOMOMO France,
    Mesdames, Messieurs,
    Chers amis,


    La fréquentation des sciences humaines, comme vous le savez, peut conduire à faire autre chose que de mauvaises rencontres. En tout cas à faire de moins mauvaises rencontres que d’autres.   Les plus anciens d’entre nous se souviennent des efforts conduits, parmi les enthousiasmes des années soixante, du nouvel essor de la linguistique, et de ses applications pour faire entrer l’art de l’architecture et la connaissance des édifices dans les sciences du langage, pour les conduire, plus ou moins de force, dans les méandres de la sémiologie.  Avec des résultats mitigés, nous pouvons en convenir.    
    Ce n’est pas à renouveller une telle aventure que nous vous invitons. S’interroger sur l’intérêt de l’application de la théorie de la réception à l’architecture ne se pose pas dans les mêmes termes. Il ne s’agit pas de faire entrer l’essence de l’architecture dans un système scientifique conçu pour d’autres objets, mais d’étudier les pratiques culturelles et sociales, ces pratiques que nous développons dans le regard et dans l’attention que nous portons sur les œuvres. Et donc il s’agit d’examiner si, pour les édifices, ces façons de faire les images et les idées avaient quelque rapport et lequel, avec les pratiques que Jauss a identifiées et organisées pour les œuvres d’art et pour les œuvres littéraires. 
    A vrai dire, nous avons surtout à rattraper un retard de méthode, car les pratiques sont belles et bien là.
    Et d’abord les nôtres, dans DOCOMOMO même. Avec nos enquêtes, nos inventaires, nos fichiers, nos commentaires et nos batailles de points de vue, nous sommes tous ici des praticiens ordinaires de la réception, des acteurs de la réception,  dans le temps et dans l’espace. Et avec bien d‘autres institutions, comme, pour la France, l’IFA, le MNAM-CCI, la Direction du Patrimoine. Et comme ailleurs : voici des messages dans l’espace, voici le livre écrit et produit aux Pays-Bas, consacré à Dudok à Paris, voici le livre, écrit et produit à Paris, consacré à l’architecte Jean Bossu dans l’ile de la Réunion , dans l’océan Indien 
    Mais nous sommes aussi des témoins des pratiques. Architectes ou historiens, technologues ou sociologues, nous avons tous été plus ou moins confrontés aux fortes opinions de nos contemporains sur les abominations de l’architecture moderne, à moins que ce ne soit à leur silence (une forme d’opinion plus hypocrite), ou au zèle intempestif de nouveaux adeptes ; bref, nous savons bien que dans ses effets, la réception de l’édifice moderne s’étend sur une gamme étendue, de l’idolâtrie au mépris, de l’hostilité à l’approche critique, en passant par le respect qu’un homme civilisé doit aux traces de son humanité même.
    Et ensuite sont devant nous les pratiques des créateurs, des interprètes, des connaisseurs, qui donnent une identité nouvelle à ces objets. Voici des images, voici des regards, appuyés sur le choix d’un système optique (Robert Hamann, et son New-York vertical),  ou sur la culture visuelle d’un maquettiste (pour le collège néerlandais de la Cité Universitaire). 
    Pour son thème scientifique, la VIIº Conférence de DOCOMOMO a donc retenu notre proposition, l’étude de la réception de l’architecture moderne, en associant les représentations - l’image - et les actions qui s’en nourrissent, de l’usage à l’héritage. Je salue ici l’ardeur des auteurs, puisque ce thème a provoqué l’envoi de 260 projets de contribution. Je remercie les membres du Conseil scientifique, qui, en appliquant une procédure rigoureuse, ont procédé à la sélection des intervenants. Et toutes celles et tous ceux, qui dans l’équipe de l’IFA, dans DOCOMOMO-France et dans l’équipe des modérateurs, ont mis en œuvre le dispositif nécessaire à ces échanges
    Par vos interventions, chers amis, vous aller nous faire partager vos travaux, plus stimulants les uns que les autres. Ils établiront que l’édifice moderne, du point de vue de la réception,  n’est pas un objet d’art comme les autres. Qu’il soit brillamment éclairé par les “feux de la gloire” d’un architecte célèbre, ou enfoui dans l’obscurité d’un architecte méconnu,  l’édifice est une pièce unique et localisée. Il échappe ainsi à la fois au statut de l’œuvre mobile, exposée ici ou là (par exemple dans des musées), et de l’œuvre inscrite dans le double processus de distribution et de conservation, dans des bibliothèques et des médiathèques, double processus qui offre l’accès direct à l’œuvre, pour le livre, le film, le disque.   
    Du point de vue des instruments culturels, et aussi du point de vue de l’industrie culturelle, l’édifice, élaboré et construit quelque part, est pratiquement impossible à déplacer et, de ce fait il échappe à toute inscription dans la circulation spéculative de l’œuvre d’art ; il est dépourvu de la défense que produit une forte valeur économique ; pour ces deux raisons, l’édifice est en lui même anachronique et étranger à l’économie de l’œuvre d’art.  Son étrangeté est telle, que, pour ce “sans-papier”, son droit de cité, dans le temps, dépend de la volonté politique, et de l’application d’une législation protectrice capable de s’opposer à la destruction de ce qui est hors d’âge et hors d’usage. Et chacun sait que, partout dans le monde, pour ces édifices modernes, et donc deux foix étranges, l’application de ces lois de protection est difficile et encore peu efficace.
    Par contre, au fur et à mesure que s’accomplissent, depuis le XIXº siècle, les pouvoirs de l’observation scientifique et de la communication,  l’édifice nouveau est au centre d’une intense réception qui devient, avec les expositions universelles et le regard de l’ethnologue, du géographe et de l’historien, un objet à construire. De nouveaux édifices - le Crystal Palace, la Tour Eiffel - deviennent des évènements, et dans la presse, stimulée par leur inscription dans l’actualité ; la découverte de la modernité de l’architecture devient un sujet attirant, qui ouvre la voie aux commentaires, aux controverses.
    Depuis, et dans toutes les formes de l’édition, l’édifice est la matière première pour la fabrication d’une réception emboîtée qui lui est propre, où se combinent l’usage interne, la réception  locale et régionale, la vision critique et savante à grande distance de l’objet. Il faut bien ici donner cette règle du jeu, que balisent les instrument et les pratiques : voici l’édition locale  - à Boulogne, ce Parcours des “années 30” - voici l’édition régionale  - Architectures en Champagne-Ardennes -
    Notons ici que les actions sur l’édifice ou au contact de l’objet peuvent devenir des formes très fortes de la réception : elles établissent la reconnaissance culturelle de l’œuvre, elles la font participer, et dans l’espace public, à l’héritage. Voici, au terme d‘un processus qui associe les habitants et les gestionnaires,  la réhabilitation à Lyon d’un habitat populaire, qui comporte l’addition des images de l’œuvre de l’architecte-auteur, Tony Garnier - 
    Voici, résultat pour l’essentiel des actions locales, le chantier de la réhabilitation exemplaire d’une des formes monumentalisées de l’habitat social, à Rezé, près de Nantes, et l’inscription de la vision de l’édifice dans une scénographie savante, produite, trente ans après, par la construction très volontaire d’un nouvel hôtel de ville.
    Dans ces formes inédites, voici l’impact de la réception sur la consécration de l’œuvre, et voici sa portée, celle d’un relai dans la durée, et donc dans l’héritage à transmettre :  la réception, processus de l’héritage et de son partage avec les générations à venir. Je ne doute pas que vos interventions, chers amis, enrichiront ces points de vue. A demain.
 

Publié dans Préfaces

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